Livres adultes
Conseils de lecture pour les adultes
Livre / "Gustave Courbet, le peintre de la liberté" de Michel Ragon
« Gustave Courbet , peintre de la Liberté »
de Michel Ragon
Editions Fayard, 2004
456 pages
De prime abord, on pourrait dire que le livre de Michel Ragon est une biographie de la vie de Gustave Courbet. Ce n’est pas faux. Pourtant, c’est bien plus que cela.
C’est à la fois une biographie bien sûr, mais surtout un roman, un document d’histoire de l’art, un document d’histoire tout court, de géographie historique aussi entre le Jura (Ornans), Paris, la Normandie et la Suisse du côté de Martigny, pas très loin du lac Léman, bref une mine d’informations sur ce que furent le XIXème siècle, les gens d’influence de cette période, la vie du peuple à cette époque, la campagne et la ville, la ruralité et l’urbanité.
Enterrement à Ornans - Gustave Courbet
C’est une grande épopée séculaire, tout en mouvements qui se lit comme une fiction. Et pourtant, il s’agit bien de la réalité passée au crible des évènements historiques, des témoignages, des correspondances d’artistes et de mécènes, des relations d’artistes souvent tumultueuses, emplies de jalousie et d’envie, de traîtrise mais aussi d’entraide. On découvre comme les chefs d’œuvres de l’art pictural sont inscrits dans un contexte bien moins glamour que l’émotion qu’ils dégagent à nos yeux maintenant.
Lire l’ouvrage de Michel Ragon, c’est (re)découvrir le XIXème siècle, ses révolutions, la Commune, le développement industriel, l’art et la peinture en particulier par la vie d’un homme aux contradictions profondes, à la fois hors de tout courant et pourtant si proche, politiquement très engagé du côté des défenseurs des plus pauvres et en même temps un homme d’affaire intraitable et souvent égocentrique, calculateur, qui gagna beaucoup d’argent. Les contradictions de l’homme sont comparables à celles de ce siècle, entre conservatisme royaliste et révolution bourgeoise, entre mouvements populaires et bourgeoisie qui joue les mécènes, entre rivalités d’artistes sur fond de nécessité économiques.
Parfois, on peut ressentir des émotions comparables à la lecture des Misérables dans la manière d’entrer dans une époque troublée via la vie de cet homme hors du commun, c’est certain.
Ici, pas d’usine dans le nord, mais une ferme franc-comtoise qui l’a vu naître, le pays d’Ornans qui a marqué profondément sa peinture. Homme excessif, dont la vie est marquée par le scandale, il a presque tout réussi et finalement tout perdu. Ici pas un Jean Valjean, soucieux de ceux qui l’entourent, mais un homme libre, attentif à peindre le peuple contre les élites, à défendre les moins cultivés contre le pouvoir des académies et, en même temps, à vivre dans les excès de la bourgeoisie.
On peut aussi retrouver les élans de temps à autre de "Dix jours qui ébranlèrent le monde" du journaliste écrivain américain John Reed propos de la Révolution Russe de 1917.
Le « roman » est traversé par de nombreux personnages comme Pierre-Joseph Proudhon, précurseur de l’anarchisme , et Jules Vallès, écrivain et journaliste, insurgé de la Commune, fondateur du journal « Le Cri du peuple ». On y rencontre aussi les grands noms de la peinture qui, pour certains, n’avaient pas encore la célébrité qui est la leur aujourd’hui, Manet, Delacroix, Ingres, Corot… aussi les écrivains et poètes, Baudelaire, Victor Hugo… sans oublier les mécènes, les critiques d’art, Champfleuri et les autres…
Michel Ragon a basé ce livre sur un formidable travail de recherche d’archives. C’est ce qui le rend si dense et si prenant. On peut comprendre au final comme il est difficile de classer Gustave Courbet, peintre anticonformiste au possible, autant séduisant que répulsif, autant soutenable qu’insupportable.
Celui qui refusa la légion d’honneur avait dit à ce sujet :
« Quand je serai mort, il faudra qu’on dise de moi : celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune institution, à aucune académie, surtout à aucun régime, si ce n’est le régime de la liberté. »
Cette phrase sonne comme un étendard pour celui qui osa peindre « L’Origine du Monde »…
Constance Quéniaux, danseuse à l'Opéra - Le visage caché de "L'Origine du Monde"
Livre / "Au cœur des Ténèbres" de Joseph Conrad (1899) - Edition bilingue de 1996
« Au cœur des Ténèbres »
(Heart of Darkness)
de Joseph Conrad
Traduit de l’anglais et annoté par Jean Deurbergue
Edition bilingue Anglais-Français
Editions Gallimard Collection Folio Bilingue
Nouvelle édition 1996
Préface de Michelle-Irène Brudny
333 pages dont 165 en français.
Vous vous souvenez sans doute du film de Francis Ford Coppola « Apocalypse Now », cette intrusion stupéfiante dans la jungle vietnamienne où le capitaine Willard (interprété par Martin Sheen) est chargé de mettre fin au délire destructeur du colonel Kurtz (extraordinaire Marlon Brando) qui met à mal l’image de l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam.
Ce film considéré comme un chef d’œuvre du cinéma a reçu la Palme d’Or au Festival de Cannes en 1979 puis d’autres récompenses aux Oscars et aux Golden Globes, entre autres, l’année suivante.
Rappelez-vous « The end » la chanson des Doors sur fond d’images de ventilateur dans la chaleur humide et étouffante de Saïgon (l’ancienne Ho Chi Minh Ville), et même « Satisfaction » des Rolling Stones jaillissant du patrouilleur de Willard sur la rivière qui s’enfonce dans la forêt profonde, aussi le ballet des hélicoptères et la folie meurtrière du lieutenant-colonel Kilgore (impressionnant Robert Duvall) sur la musique de la « Chevauchée des Walkyries » de Richard Wagner…
Ce film et ses scènes cultes ont le même point commun de départ : le roman de Joseph Conrad, « Au cœur des Ténèbres » sorti en… 1899.
Dans le livre, pas de Vietnam, mais la colonie belge du Congo. Pas de guerre, mais des conflits sur fond de commerce de l’ivoire par des compagnies privées et les liens entre blancs et noirs. Pas de capitaine Willard, mais un certain Charles Marlow, jeune officier de la marine marchande britannique qui raconte ses terribles souvenirs d’Afrique à un groupe de londoniens sur la Tamise. Et seul rapprochement direct avec le film : le personnage mystérieux de Kurtz. Dans le roman, c’est un chef de comptoir perdu très loin au fin fond de la forêt, avec ses hommes, sa cour cruelle et violente.
Le film de Francis Ford Coppola a conservé cette plongée hallucinante dans un voyage aux sources de la folie et de l'idée du Mal, comme le roman.
"Le Roi des Belges", bateau sur lequel a navigué Joseph Conrad
Cette œuvre littéraire est d’abord parue sous forme de feuilleton dans la revue Blackwood’s Magazine en 1899, puis dans un recueil de trois récits en 1902 : « Youth : narrative and two other stories ». Elle conserve encore aujourd’hui une force envoûtante considérable. C’est aussi ce qui explique pourquoi de nombreux artistes du XXème et du XXIème siècle se sont inspirés de cette œuvre de la fin du XIXème.
Il faut dire que le style d’écriture est d’une richesse considérable. Par des métaphores époustouflantes et un souci du détail remarquable, l’auteur fait plonger le lecteur dans un monde d’où il est difficile de ressortir, comme si la forêt congolaise d’un autre siècle enveloppait celui qui s’y plonge plus de cent ans plus tard.
« Les lignes droites s’ouvraient devant nous et se refermaient derrière, comme si la forêt avait enjambé l’eau sans se presser pour nous barrer le chemin du retour. Nous pénétrions de plus en plus profondément au cœur des ténèbres. »
(Extrait)
Pourquoi Kurtz est-il devenu ce qu’il est quand Marlow vient le chercher ?
Lui, Kurtz, un homme de valeur qui croit en la justice ?
En montant sur le bateau de ce monde colonial et en pénétrant l’immense forêt qui se referme sur ces hommes, toutes les valeurs sont remises en cause, comme une lente déshumanisation, une confrontation brutale entre la sombre beauté sauvage de l’Afrique équatoriale et la perte de repères jusqu’à la folie.
« Les gens qui viennent ici ne devraient pas avoir d’entrailles. » Il scella cette déclaration de ce sourire qui n’appartenait qu’à lui, comme si ç’avait été une porte ouvrant sur les ténèbres dont il avait la garde. » (Extrait page 103)
Et, au bout du compte, est-ce que, ce qui arrive à Kurtz, ne pourrait pas arriver à n’importe qui, quand les contradictions d’un monde où règne l’appât du gain, le besoin de pouvoir, ne peuvent plus contenir les valeurs humaines ?
« Nous étions totalement coupés de la compréhension de ce qui nous entourait ; nous passions doucement, tels des fantômes, perplexes et secrètement épouvantés comme le seraient des gens sains d’esprit devant un débordement d’enthousiasme subit dans une maison de fous. »
(Extrait page 159)
Quoi appartient à qui ? Qui appartient à qui ? Qui appartient à quoi ? Pourquoi vouloir posséder ? Nous laissons-nous être possédé ? Et surtout, possédons-nous vraiment quelque chose ? Ne mettons-nous pas trop d’importance dans des choses futiles en oubliant le plus essentiel ? Que restera-t-il en fin de compte de nos petites peurs quotidiennes, de nos petits drames alors que nos yeux n’ont peut-être pas vu le plus important ?
D'une certaine façon, on pourrait faire le rapprochement avec "Le désert des Tartares" de Dino Buzzati, pas directement sur la thématique de l'injustice du destin, mais surtout sur celle de l'aveuglement, quand l'humain ne voit pas ce qui lui est le plus essentiel, comme une folie poussée à son paroxysme dans le livre de Joseph Conrad. Au bout du compte, dans ces deux romans, quand la mort arrive, c'est le regret qui l'emporte. Reviennent alors les images de celles et ceux qui ont été mis de côté au nom d'une folie presque inhumaine.
« Vous auriez dû l’entendre dire : « mon ivoire. » Oh oui, je l’ai entendu. « Ma fiancée, mon ivoire, mon poste, mon fleuve, mon… » Tout lui appartenait. J’en retenais mon souffle, tant je m’attendais à entendre le monde sauvage partir d’un prodigieux éclat de rire qui ferait trembler les astres dans leur immuable position. Tout lui appartenait – mais ce n’était qu’une vétille. L’important était de savoir à qui il appartenait, lui, combien, parmi les puissances des ténèbres, prétendaient qu’il leur appartenait. » (Extrait page 217)
Toutes les questions que pose ce roman sont d’une étonnante modernité. Mais faut-il s’en étonner ? Depuis sa date de parution en plein essor industriel et financier du XIXème siècle à nos jours, même dans un monde avec des révoltes et des révolutions, avec des rebellions et des désobéissances, avec deux guerres mondiales, la même logique a cherché à s’imposer : celle de l’argent et de l’enrichissement, celle du pouvoir. Et ces questions sont déjà au cœur du livre de Joseph Conrad. Les colonies et l’esclavage d’hier sont devenus des conflits d’intérêts économiques de richesse et de pouvoir entre le nord et le sud aujourd’hui, aussi des questions d’environnement que les humains ont du mal à comprendre et à respecter.
« C’est vers ce monde sauvage, en réalité que je m’étais tourné, et non vers Kurtz qui, j’étais prêt à le reconnaître, était autant dire mort et enterré. Et pendant un certain temps, il me sembla que moi aussi, j’étais enterré dans une immense tombe pleine de secrets indicibles. Je sentais un poids intolérable m’oppresser la poitrine, l’odeur de la terre humide, la présence invisible de la corruption, les ténèbres d’une nuit impénétrable… »
(Extrait page 273)
Hannah Arendt
Hannah Harendt, la grande philosophe et journaliste allemande naturalisée américaine, qui a beaucoup écrit sur les systèmes totalitaires considérait "Au coeur des ténèbres" comme un livre matriciel car, en plus de sa réussite littéraire, c'est surtout un support très important pour comprendre le système colonial mis en place en Afrique, en particulier chez les Boers en Afrique du Sud, même si le livre lui-même n'est pas situé dans cette zone de l'Afrique. Le texte vient révéler le fonctionnement réel et pratique de l'impérialisme européen sur le continent africain. Hannah Arendt fait référence à l'oeuvre de Joseph Conrad dans le chapitre "Race et démocratie" de son ouvrage "Les origines du totalitarisme".
Un livre essentiel et passionnant à découvrir ou redécouvrir…
Joseph Conrad par George Charles Beresford (1904).
Ce très beau texte a inspiré de nombreux artistes. Orson Welles l'avait proposé à la RKO avec lui dans le rôle de Kurtz, mais la projet n’a jamais abouti.
Le film Apocalypse Now est un mixte du roman de Joseph Conrad et de « L’Adieu au Roi » de Pierre Schoendorffer (On peut ajouter que John Milius qui a réalisé l’adaptation cinématographique de « L’Adieu au Roi » en
En 1994, le texte a été adapté à la télévision par Nicolas Roeg avec Tim Roth, John Mlakovitch, Isaach de Bankolé et James Fox.
Werner Herzog s’est aussi emparé de ces thématiques dans ces films « Aguirre ou la Colère des Dieux » en 1972 dans une histoire proche inspirée de l’Amérique latine des Conquistadors. Il reprendra d’une autre façon cette idée de la folie humaine, une quête impossible au profond de la forêt vierge, dans « Fitzcarraldo » en 1982, toujours avec son acteur fétiche Klaus Kinski.
Le roman est cité à plusieurs reprises dans le film King Kong de Peter Jackson en 2005, comme dans « L’art (délicat) de la séduction » de Richard Berry en 2001. Cécile de France, l’actrice principale dit d’ailleurs à Patrick Timsit, à propos du capitaine Marlow : « On pourrait le prendre pour un imbécile, mais il voit plus loin que les autres, parce qu’il sait attendre. »
Le roman sert aussi de fil conducteur pour le film documentaire de Thierry Michel « Congo Congo River » où le réalisateur remonte à la source du fleuve comme Marlow dans le roman. Mais là, il s’agit de reconstruction d’un pays et non des violences de la colonisation.
Le roman apparaît aussi comme trame dans « L’Aube du Monde », du franco-irakien Abbas Fahdel où le récit est transposé dans les marais du sud de l’Irak au moment de la Guerre du Golfe.
En 1995 le film d'Arnaud des Pallières "Drancy Avenir" cite largement le texte de Conrad. Il développe Au cœur des ténèbres comme un récit parallèle à la trame principale qui voit une étudiante enquêter sur les traces encore présentes dans notre monde de l'extermination des juifs par les Nazis. Le voyage de Marlow jusqu'à Kurtz étant dans ce film la symbolique du travail difficile de l'historien qui cherche à appréhender l'horreur de ce que fut la Shoah.
Villageois rassemblés au bord du fleuve, au passage du Roi des Belges à Sankuru en 1888.
Livre / "Quand sort la recluse" de Fred Vargas
Livre / "Women's Book" de Véronique Durruty - Un monde de femmes - 25 ans de voyages et de rencontres
WOMEN'S BOOK
Véronique Durruty
Editions de la Martinière - 2014
Véronique Durruty est une artiste, auteur et grande voyageuse, une femme curieuse de ce qui l'entoure.
Elle est partie à la découverte des peuples du monde avec ses caméras, ses carnets de dessins et d'esquisses, aussi ses stylos pour raconter et faire partager ses expériences et ses rencontres.
Cela a donné lieu à une vingtaine d'ouvrages qui racontent les gens du monde par le prisme de la femme que Véronique Durruty est, humble citoyenne d'une planète aux multiples cultures qui confrontent la nôtre, les nôtres, qui nous rappelle avec simplicité que nous sommes des gens comme les autres, même ceux qui peuvent nous paraître étranges au point de les appeler "étrangers".
On se peut se souvenir de son magnifique ouvrage "Road Book - Voyageurs du Monde" , splendide traversée de la planète en textes concis, en dessins et en photographies du mouvement des choses et des gens.
Véronique Durruty a repris ici le même principe, la même approche de présentation de ses rencontres avec les femmes du monde, sans doute même avec plus d'implication parce qu'en tant que femme, elle ressent davantage les douleurs, les souffrances, les inégalités dont elles sont les victimes, mais aussi les bonheurs secrets ou révélés qu'elle peut capter parce qu'une femme est facilement acceptée dans les cercles de femmes.
Il en ressort un ouvrage aussi puissant que les sentiments et les énergies qui émanent de ces pages : la beauté de ces personnes, le sens de l'accueil, les contradictions de leur vie, la place des femmes dans les sociétés humaines (pas souvent faciles), leurs relations aux hommes, les rires et les bonheurs partagés, le quotidien en photos volontairement floues qui donnent du mouvement à la vie, les croquis qui rappellent les tracés rapides au coin d'une rue et l'art des encres d'Asie ou d'Afrique.
Et puis surtout Véronique Durruty s'implique totalement dans cet ouvrage. Elle n'est pas le conteur qui regarde avec recul ce qu'elle voit. Elle parle à la première personne, celle qui s'émerveille et se questionne, celle qui accepte de recevoir les cadeaux que sont ces rencontres, ou les chocs inattendus de cultures qui bousculent notre image confortable du monde.
Son "Je" n'est pas l'égo surdimensionné de celle qui se place au-dessus de la mêlée des mouvements du monde. Non, son "Je", c'est celui du voyageur qui est prêt à se remettre en cause au contact de ce qu'il ne connaissait pas auparavant. Ce voyageur qui confronte les réalités de sa vie aux découvertes de ses voyages.
Au final, ce ne sont pas des vérités universelles qui en ressortent, mais des constats, des questions souvent sans réponses évidentes qui nous font sortir de notre zone de confort pour bousculer notre existence.
Et puis, il faut y ajouter la qualité de l'oeuvre livresque, le contenu autant que la présentation. Le travail des Editions de la Martinière y est ici remarquable. C'est un objet d'art à part entière, à feuilleter en prenant son temps, en s'émerveillant de chaque photo, de chaque dessin, de chaque montage textes et images.
C'est un très bel hommage aux femmes du monde. Toutes, des plus jeunes aux plus âgées. Un voyage dans l'intime de vies que nous ne soupçonnions pas.
Ce peut- être un très beau cadeau pour des mères, des filles, des grand-mères, mais aussi pour des hommes attentifs à la qualité des relations entre humains, qui qu'ils soient.
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Roman / "Le Vieux qui lisait des romans d'amour" de Luis Sepulveda
« Le Vieux qui lisait des romans d’amour » (1989)
Luis Sepulveda
Titre original : « El viejo que leia novelas de amor »
1992, Editions Métailié, pour la traduction française
Traduction : François Maspéro
129 pages
Attention ! Chef d’œuvre !
Voici un ouvrage petit en nombre de pages mais un très grand roman en termes de puissance et d’impact.
« Le vieux qui lisait des romans d’amour » est une fable naturaliste et humaniste sur le sens d’une vie, à travers l’histoire d’un vieil homme sur l’immense territoire d’un petit village amazonien de l’Equateur, El Idilio. Un lieu sacré pour les uns (les indiens Shuars), un lieu de perdition pour les autres (les chercheurs d’or et de diamants). Le tout sur fond de menace sourde et invisible d’une femelle ocelot dont on a tué les petits et blessé le mâle.
La mort est toujours présente dans ce paradis ou cet enfer végétal selon la manière de se l’approprier.
Le vieil homme, José Antonio Bolivar, avait fui l’autre monde, celui des villes et des apparences. Il s’était installé en plein territoire Shuar où il avait tout appris de la vie dans ce territoire sauvage aux règles nettes et sans détour parce qu’absolument nécessaires à la vie ou à la survie. Dans cette forêt humide où la canopée cache la lumière, où la pluie se transforme en brouillard qui rend tout invisible, les Shuars ont appris à José Antonio Bolivar les mille et une petites choses qui permettent de savoir répondre à ses besoins de nourriture, de chasse, de déplacements, de protection face aux menaces multiples, de respect de cette nature qui offre tout ce qui est nécessaire pour vivre.
Comme dirait l’indien en crachant bien fort pour qu’on sache qu’il dit la vérité : « (…) Tu es le chasseur des blancs, tu as un fusil, tu violes la mort en l’entourant de douleur. (…) »
Et dans cette façon de considérer la nature environnante comme une personne nourricière à part entière, les Shuars ajoutent : « Le jour, il y a l’homme et la forêt. La nuit, l’homme est forêt. »
C’est dans cette atmosphère prégnante et belle à la fois que se dessine une lutte sans merci entre les hommes et l’ocelot, entre les fusils et les griffes, entre ceux qui s’imaginent puissants parce qu’ils ont un fusil et l’autre puissance tapi dans l’ombre d’un lieu qui est le sien.
José Antonio Bolivar sait tout cela comme il sait aussi lire (pas très bien, mais il sait). Et son imagination est emplie de ces romans du monde entier qui parlent de l’amour, ces livres qui débarquent au quai d’El Idilio par les barques en provenance des villes en amont du fleuve, si lointaines et si proches à la fois.
Les amants de la littérature occidentale de Venise et d’ailleurs trainent quelque part dans l’Amazonie d’un vieil homme qui cherche « cet amour pur, sans autre finalité que l’amour pour l’amour. Sans possession et sans jalousie », celui qu’il avait trouvé dans sa vie avec les Shuars.
Ce roman pourrait presque ressembler à un parcours initiatique qu’on commencerait par la fin quand le savoir acquis sert de point d’appui pour comprendre l’incapacité de l’homme moderne qui croit dominer le monde dans d’illusoires concepts de domination.
C’est là où l’histoire particulière avec l’ocelot prend toute sa puissance parce qu’elle est portée par ce riche univers de pensée autour du personnage de José Antonio Bolivar.
Tout apparaît alors avec l’évidence que nous aussi, lecteurs, nous avons quelque chose à apprendre de cette histoire pourtant si loin de nous, dans l’Amazonie d’outre-Atlantique. Nous aussi, lecteurs d’un autre continent, nous avons notre El Idilio, notre ocelot qui nous pourchasse quelque part sans que nous le chassions. Nous aussi, nous feignons de ne pas voir alors que nous voyons, alors que nous savons…
Luis Sepulveda a écrit là un chef d’œuvre de la littérature. Et ce n’est pas par hasard que des millions de lecteurs dans le monde ont « dévoré » ce roman.
Le monde d’aujourd’hui rend encore plus urgent la lecture de cet ouvrage.
Extraits :
Page 11 :
Le ciel était une panse d’âne gonflée qui pendait très bas, menaçante, au-dessus des têtes. Le vent tiède et poisseux balayait les feuilles éparses et secouait violemment les bananiers rachitiques qui ornaient la façade de la mairie.
Page 14 :
La différence était énorme entre un Shuar hautain et orgueilleux, qui connaissait les régions secrètes de l’Amazonie, et un Jivaro tel que ceux qui se réunissaient sur le quai d’El Idilio dans l’espoir d’un peu d’alcool.
Page 33 :
Il lisait en épelant les syllabes, les murmurant à mi-voix comme s’il les dégustait, et, quand il avait maîtrisé le mot entier, il le répétait d’un trait. Puis il faisait la même chose avec la phrase complète, et c’est ainsi qu’il s’appropriait les sentiments et les idées que contenaient les pages.
Page 45 :
Sa connaissance de la forêt valait celle d’un Shuar. Il nageait aussi bien qu’un Shuar. Il savait suivre une piste comme un Shuar. Il était comme un Shuar, mais il n’était pas un Shuar.
Page 56 :
Ce fut la découverte la plus importante de sa vie. Il savait lire. Il possédait l’antidote contre le redoutable venin de la vieillesse. Il savait lire. (…)
Page 84 :
Il repéra d’abord le colon. Il le reconnut à son crâne sans dents. L’américain gisait quelques mètres plus loin. Les fourmis avaient fait un travail impeccable et n’avaient laissé que les os, nets, pareils à de la craie. Elles étaient en train de terminer le squelette. Telles des bûcheronnes minuscules et cuivrées, elles transportaient un à un les cheveux jaunes paille pour étayer le cône d’entrée de leur fourmilière.
Page 88 :
Il pleuvait moins, mais l’eau tombait en lourdes rigoles. La pluie était arrêtée par le toit végétal. Elle s’accumulait sur les feuilles et, quand les branches finissaient par céder sous son poids, l’eau se précipitait, chargée de toutes sortes de senteurs.
Page 107 :
Quelque chose lui disait que la bête n’était pas loin. Peut-être qu’en ce moment précis elle était en train de les observer. En outre, depuis quelque temps, il se demandait pourquoi toutes ces victimes le laissaient indifférent. C’était probablement sa vie passée avec les Shuars qui lui faisait voir ces morts comme un acte de justice. Un acte sanglant, mais inéluctable, œil pour œil.
Page 109 :
Souvent les habitants parlent de toi en t’appelant le Chasseur, et tu leur dis que ce n’est pas vrai, parce que les chasseurs tuent pour vaincre la peur qui les rend fous et les pourrit de l’intérieur.
Page 111 :
« Si la piste est trop facile et que tu crois tenir l’ocelot, c’est qu’il est derrière toi, les yeux fixés sur ta nuque » disent les Shuars, et c’est vrai.
Page 122 :
L’ocelot capte l’odeur de la mort que beaucoup d’hommes portent sur eux sans le savoir.
Petite biographie de Luis Sepulveda
L'auteur est né au Chili en 1949. Il vit actuellement dans les Asturies, une région au nord-ouest de l'Espagne. Il a aussi habité à Hambourg, au nord de l'Allemagne et à Paris.
Cet écrivain voyageur a entre autres écrit "le Vieux qui liait des romans d'amour", mais aussi "Un nom de torero", Le Monde au bout du monde", "le Neveu d'Amérique".
Ces romans sont publiés dans plus de 50 pays et ce sont des best-sellers.
Luis Sepulveda est aussi scénariste, réalisateur, producteur et même acteur pour le cinéma.
"Le Vieux qui lisait des romans d'amour" a reçu le prix France-Culture étranger et celui du Roman d'évasion. Il a été adapté au cinéma en 2001 avec Richard Dreyfus dans le rôle principal.
Luis Sepulveda est aussi un défenseur de la nature, membre de Greenpeace. Son ami brésilien Chico Mendes, un défenseur de la forêt amazonienne fut assassiné en 1988 sur ordre d'un riche propriétaire de terre. Il lui dédiera un de ses livres.
Le Vieux qui lisait des romans d'amour, réalisé par Rolf De Heer.
Titre original : The Old Man Who Read Love Stories
Date de sortie : 07-03-2001
Les premières pages de l'ouvrage "Le Vieux qui lisait des romans d'amour" de Luis Sepùlveda.
Théâtre - Adaptation et mise en scène de Patrick Chevalier
A El Idilio, bourgade perdue au bord d'un bras de l'Amazone, vit Antonio Jose Bolivar que tout le monde appelle « Le vieux ». Un jaguar sème la terreur aux alentours parce qu'un ignorant a tué toute sa portée. Antonio est chargé de résoudre le problème. Mais il est plus proche de ce jaguar que de ceux qui détruisent la forêt et persécutent les Indiens.
Livre - Essai / "Les Identités Meurtrières" par Amin Maalouf
Parce que l'année 2016 continue de par le monde, en France y compris, à diviser les hommes au lieu de les rassembler, c'est l'opportunité de remettre au goût du jour ce livre essentiel de Amin Maalouf sur l'identité, sur les identités.
Les Identités Meurtrières
de Amin Maalouf
Editions Grasset
Le livre de poche n°15005 / 189 pages
Version d'origine - Editions Grasset
Amin Maalouf formule un vœu pour son livre :
"que [son] petit-fils, devenu homme, le découvrant par hasard dans la bibliothèque familiale, le feuillette, le parcoure un peu, puis le remette aussitôt à l'endroit poussiéreux d'où il l'avait retiré, en haussant les épaules, et en s'étonnant que, du temps de son grand-père, on eût encore besoin de dire ces choses-là."
Il est vrai que ce livre renferme une somme conséquente d'évidences sur l'identité, ou encore sur les identités, ou plutôt sur notre identité multiple. Et pourtant, on peut constater avec regret que ces évidences n'ont plus leur place en ce monde.
A la lecture de ces pages, on peut se rendre compte que l'humanité passe à côté de ces évidences qui sont pourtant l'essence de la vie humaine.
Du Moyen-Orient à l'Occident, en traversant l'ensemble des continents, en visitant un grand nombre de peuples, partout ce sont des êtres humains, les mêmes et tous différents, tous complémentaires. Cela peut paraître simple de le dire, de l'écrire. Pourtant non. On ressort de ce livre avec des yeux grands ouverts sur les béances de notre monde, et l'évidence devient cet objet obscur et refoulé que beaucoup gardent au fond d'eux, sans chercher à trop y regarder, de peur de trouver là les raisons de leur surdité et de leur vision aveuglée de l'existence d'autrui.
Cet ouvrage est une lumière sur notre obscurité parfois voulue.
Nous sommes complexes. Nos identités sont complexes. Chacune d'elles. Dans un monde qui cherche à tout simplifier. Même nos identités.
Le livre d'Amin Maalouf passe au crible les grands conflits (anciens et actuels) de notre planète, conflits collectifs et individuels, les religions, les doctrines, les traditions, les rites et les croyances. Un livre qui ouvre un champ considérable de questions, qui ouvre l'esprit à une autre image de "l'autre", à une autre image de soi-même. C'est un essai (comme il est défini par l'auteur), et aussi plus qu'un simple essai. C'est une clé vers ce que notre monde pourrait être si nous regardions cet autre, ailleurs et à côté de nous, d'un oeil différent et moins hostile, avec l'évidence qu'il est autant humain que nous, qu'il soit suédois, sud-africain ou arabe, juif musulman ou orthodoxe, noir jaune rouge ou blanc. Qu'au-delà de toutes nos appartenances, il en est une qui nous est commune à tous, c'est notre humanité, égale pour tous, partout, hier, aujourd'hui et demain.
Considérant ce point de vue comme une base pour penser le monde, c'est avec un autre regard que l'on observe sa marche et ses tourments. C'est avec cet autre regard que l'on pose des espoirs pas forcément vains.
Forcément ce livre trouve aisément sa place sur un blog d'école, lieu d'éducation s'il en est, lieu d'expérimentation de ce qu'est la tolérance et le partage. Car, si le monde doit changer, ce sont avant tout les adultes de demain qui seront aux commandes. Et les adultes de demain, ce sont les enfants d'aujourd'hui, ceux qui sont dans les écoles ou ceux qui devraient y être (ceux des pays où la vie ressemble davantage à de la survie).
Les propos d'Amine Maalouf, les enseignants pourraient les tenir à leurs élèves. Ils les tiennent déjà en partie, tant l'école de la République est porteuse de cet espoir d'avancer ensemble malgré nos différences, grâce à nos différences.
Voici donc un ouvrage hors du temps qui comme Amine Maalouf l'a fort bien énoncé dés le départ, ne devrait même pas exister car le fait qu'il reste une référence signifie que le monde ne va pas bien.
Extraits
(page 17 à propos de nos différentes appartenances) "C'est justement cela qui fait la richesse de chacun, sa valeur propre, c'est ce qui fait que tout être est singulier et potentiellement irremplaçable."
(page 28) "L'humanité toute entière n'est faite que de cas particuliers, la vie est créatrice de différences, et s'il y a "reproduction", ce n'est jamais à l'identique."
(page 42) "Lorsque nous installons telle communauté dans le rôle de l'agneau, et telle autre dans le rôle du loup, ce que nous faisons, à notre insu, c'est accorder par avance l'impunité aux crimes des uns."
(Page 50) Le pays d'accueil n'est ni une page blanche, ni une page achevée, c'est une page en train de s'écrire."
(Page 76) "Quand... des musulmans du tiers-monde s'en prennent violemment à l'Occident, ce n'est pas seulement parce qu'ils sont musulmans et l'Occident chrétien. C'est aussi parce qu'ils sont pauvres, dominés, bafoués et que l'Occident est riche et puissant."
(page 110) "Une vision du monde qui transcende notre existence, nos souffrances, nos déceptions, donne un sens à la vie, à la mort (...) Séparer l'Eglise et l'Etat ne suffit pas : tout aussi important serait de séparer le religieux de l'identitaire."
(page 124) Respecter quelqu'un, respecter son histoire, c'est considérer qu'il appartient à la même humanité, et non à une humanité différente, une humanité au rabais.
(page 142) Chacun devrait pouvoir assumer, la tête haute, sans peur et sans rancoeur, chacune de ses appartenances.
(page 153) Un homme peut vivre sans aucune religion, mais évidemment pas sans aucune langue.
(page 170) Une laïcité sans démocratie est un désastre à la fois pour la démocratie et pour la laïcité.
(page 177) Parce qu'on porte déjà sur son visage la couleur de son appartenance, parce qu'on fait partie de ceux qu'on appelle dans certaines contrées "les minorités visibles", alors on n'a pas besoin de longues explications pour comprendre que les mots de "majorité" et de "minorité" n'appartiennent pas toujours au vocabulaire de la démocratie.
Pascal Marchand
Livre / "La Croisade de Falconer" de Ian Morson
La Croisade de Falconer
de Ian Morson
Titre original : « Falconer’s crusade » (1994)
Traduit de l’anglais par Christophe Valia-Kollery
Editions Librairie des Champs-Elysées – Hachette – 1998
Voilà un livre formidable. Un polar médiéval passionnant qui nous fait entrer dans un XIIIème siècle complexe et conflictuel.
Nous sommes en 1264. Le prélat Henry Ely propose à Thomas Symon, un jeune paysan doué en grammaire, d’aller suivre les cours du regent master William Falconer à l’université d’Oxford.
Malheureusement pour Thomas, son arrivée de jour est retardée par divers aléas. Finalement, il débarque à Oxford dans la nuit et, comble de la malchance, il est le témoin numéro un du meurtre d’une jeune femme. L’assassin ayant disparu, il est même considéré comme le meurtrier.
Réussissant à échapper à ses poursuivants, il retrouve enfin le regent master Falconer qui tentera tout pour prouver l’innocence de Thomas et trouver le vrai coupable.
Derrière cette intrigue somme toute assez courante dans le polar, se cache un univers historique d’une richesse exceptionnelle. Car l’assassinat de la jeune femme n’est pas anodin.
Pour comprendre cette mort comme d’autres qui vont suivre, il faudra au lecteur se plonger dans la réalité du conflit de la ville d’Oxford au Moyen-âge entre sa population et son université pas toujours bien comprise, dans les mesquineries entre regent master (professeurs d’université) sur fond de pouvoir et d’espoir de promotion dans la hiérarchie royale, dans le combat du roi d’Angleterre pour affirmer son pouvoir face aux barons. Il faudra au lecteur se confronter aux luttes et à l’incompréhension entre les religions (chrétienté, protestantisme et catharisme, judaïsme). Il sera nécessaire d’accéder aux connaissances scientifiques notamment en provenance du monde arabe, en particulier en rapport à la médecine.
Rien n’est simple, encore plus quand la révolte gronde dans la ville et que ces meurtres pourraient être à l’origine d’un massacre à plus grande échelle.
A travers l’histoire de Thomas Symon, nous parcourons le monde médiéval du XIIIème siècle en Angleterre, en France, en Italie. Et, parce qu’il s’agit d’un polar historique, on peut plonger, sans hésiter et avec délectation, dans ces mystères qui pourraient être vite déplaisants s’ils étaient traités avec une érudition élististe. Ici l'érudition est le fil conducteur de la résolution de l’énigme, la nécessité pour comprendre les forces qui agissent en secret. Les clés du savoir sont les clés de la résolution des meurtres.
Ce roman de Ian Morson est d’une richesse exceptionnelle. Un regard sans concession sur les luttes de pouvoir au Moyen-âge. D’ailleurs, de ce point de vue-là, peu de choses ont changé au XXIème. Les petits intérêts, les gros profits, la dénonciation calomnieuse, l'appétit de pouvoir, les compromissions douteuses sont toujours là.
Lire « La Croisade de Falconer » nous en apprend autant sur le Moyen-âge que sur le monde d’aujourd’hui. Changez les noms, les villes, les pays et vous obtiendrez une « recette » de la même saveur.
Le livre date de 1994 dans sa version d’origine, de 1998 dans sa version française. Il est donc relativement ancien en rapport à la production littéraire. N’empêche, cela vaut le coup d’aller replonger dans cet univers.
Extraits
Page 27
Aujourd'hui, Falconer est regent master à l'université d'Oxford et Ely est un prélat de campagne. Mais ce dernier avait le don de dénicher des jeunes gens ayant fait des débuts prometteurs dans l'apprentissage de la grammaire ; et il les envoyait à Falconer pour qu'ils se mesurent aux disciplines composant le trivium et le quadrivium. Les septs arts libéraux de jadis demeuraient le fondement du savoir. Les trois premiers - la grammaire, la rhétorique et la logique - formaient la base de l'apprentissage des quatre arts majeurs - la musique, l'arithmétique, la géométrie et l'astronomie. Il fallait sept années d'études avant d'espérer pouvoir accéder au grade de master. Et la science suprême, la théologie, en exigeait encore sept autres. (...)
Page 29
Homme étrange en vérité. Sur l'un des murs se trouvait une étagère couvertes de livres. Jamais Thomas n'avait rencontré quiconque en possédant autant. Et d'autres ouvrages étaient posés sur la table de bois qui trônait au milieu de la pièce. La lumière du matin filtrait à travers les vitres dépolies d'une fenêtre située à droite de la cheminée. Un rayon de soleil faisait scintiller des grains de poussière autour de la table, où des ossements s'entassaient pêle-mêle avec quelques plantes depuis longtemps desséchées. Dans le coin le plus éloigné du lit, une chouette imperturbable l'observait sans ciller, perchée sur un bâton grossièrement taillé que l'on avait planté à l'angle de deux murs. Juste en dessous d'elle, des pots de terre étaient posés en rang sur le sol. Thomas se souvint aussitôt que sa mère lui avait recommandé la méfiance à l'égard des alchimistes qui cherchaient sans cesse des cadavres frais pour leurs expériences. Il frissonna.
- Quand tu auras terminé l'inventiare de ma chambre, je te présenterai Hught Pett. (...)
Page 37
(...) Les quartiers de viande à l'étal du boucher amenaient celui (un étudiant) que son collègue avait chargé de l'approvisionnement à se demander ce qu'il pouvait s'offrir avec son argent de poche, pour calmer sa faim sans délai. Et chez le savetier, l'odeur du cuir se mêlait à celles de la bière et du vin. La population de la ville, bien que plus nombreuse que les étudiants, cohabitait avec l'université dans un état de trève précaire. (...)
Pages 51-52
Pataugeant dans la boue, il courut jusqu'au bout de l'étroite ruelle qui se divisait en deux. Tout en essayant de retrouver son sang-froid, il tendit l'oreille. des éclats de voix rageurs lui parvenaient des deux côtés. Il ne lui restait plus qu'à rebrousser chemin pour fuir dans le dédale où il s'était perdu en venant.
Contraint de reprendre son souffle, il s'appuya contre le bois noueux d'une porte. Celle-ci s'ouvrit sous son poids et il trébucha en avant. Il reprit son équilibre et regarda devant lui, s'attendant au pire. Mais il était seul dans un corridor lugubre - il ne devait qu'au hasard d'un verrou mal refermé d'avoir pu y entrer.
Il allait tourner ses talons par le même chemin, mais il se ravisa entendant les voix menaçantes, à présent toutes proches, qui s'interpellaient. Il claqua la porte, prit soin de bien la verrouiller et s'adossa contre elle, rassuré de la sentir si solide. Cela ne rendit que plus terrifiante la vision qu'il eut en rouvrant les yeux. (...)
Page 63
Nombreux étaient ceux qui nourrissaient de la crainte et de la haine vis-à-vis des juifs, mais Falconer avait conçu dés sa jeunesse, loin d'Angleterre, une grande admiration pour l'érudition de ce peuple ; cela lui avait permis de surmonter ses préjugés. C'était d'ailleurs le vieux rabbin Jehozadok qui l'avait autorisé à emprunter deux exemplaires fort rares de grands livres de l'Arabe Avicenne, le Qanun et le Shifa. Falconer tenait ce dernier ouvrage en très haute estime pour son interprétation des idées d'Aristote.
Page 83
Thomas était enfin de nouveau en route vers le quartier juif. Il lui avait fallu longtemps pour faire croire à Hugh Pett qu'il dormait. Mais son gardien avait fini par quitter la chambre et Thomas en avait profité pour se hisser par la fenêtre. (...)
Page 161
(...)
- Vous autres , jeunes gens, vous prenez pour le centre du monde et de tout ce qui s'y produit. En fait, nous ne sommes qu'un grain de sable aux yeux de Dieu. (...)
Dans cette série où le personnage principal est William Falconer, vous pouvez aussi lire
LE JUGEMENT DE FALCONER
Un polar médiéval tout aussi passionnant se déroulant au moment de la mort du pape Alexandre au XIIIème siècle.
Pas de bienveillance religieuse mais un véritable conflit violent pour obtenir le poste suprême à la tête de l'église.
La guerre de succession fait rage, chacun des postulants au trône du Vatican cherchant des appuis politiques et financiers auprès des rois et des puissants européens. Bien évidemment, cela conduit à des assassinats et des morts inexpliquées que la raison aristotélicienne de William Falconer permettra peut-être d'y mettre un sens, au risque de sa vie et de celles de ses compagnons de route.
Le récit de fiction intègre de véritables données historiques, met en scène les rapports entre tenants des différentes religions, donne des précisions très fines sur la vie à cette époque, ce qui donne une densité considérable au roman.
Un livre à ne pas rater
Extraits
Page 9
Un lourd parfum d'encens planait dans la chambre comme un brouillard malsain au-dessus du Tibre. Le corps qui reposait sur le lit était paré de riches vêtements, et les mains jointes sur la poitrine se serraient en une silencieuse prière. L'homme au visage de marbre, ainsi étendu, semblait déjà métamorphosé en statue immobile et glacée, identique à celle qui se trouverait bientôt au-dessus de son tombeau, rendant inutile l'intervention des tailleurs de pierre.
Page 39
Frère John s'était débrouillé pour que ses appartements se situent près de la salle de travail de l'abbaye, qui se trouvait en haut sur la façade sud. L'emplacement avait été choisi afin que les frères occupés à copier les manuscrits puissent travailler jusqu'à ce que le soleil soit presque en dessous de l'horizon. De l'aube au crépuscule, les grandes fenêtres en arche recueillaientla lumière naturelleet permettaient aux copistes de bien utiliser leur longue journée de travail.
Page 74
L'évêque Otho était un homme puissant à double titre : nommé par le pape, on disait qu'il bénéficiait aussi des faveurs du roi. Certains membres du groupe n'aimaient pas faire appel à un étranger, mais en cas de besoin, chacun devait ravaler sa fierté.
Page 96
Il préférait s'asseoir au milieu de ses étudiantssur els bancs étroits ou aropenter les allées en lançant des questions à la cantonade. Il traitait de son sujet favori.
- L'étude des sciences naturelles, zoologie, botanique et alchimie nous apprend que ce n'est pas par l'observation exacte que nous parvenons à la vérité. D'après Abelard, une doctrine ne saurait être suivie uniquement parce c'est la parole de Dieu, mais parce que nous sommes convaincus par la raison.
Un frisson d'excitation parcourut l'assembléeà l'énonce de cette affirmation visblement hérétique...
Page 106
Tout en reprenant en sens inverse l'interminable couloir, Falconer ne put s'empêcher de songer à l'expression du visage de l'évêque à l'annonce de la mort du pape. Il n'exprimait ni horreur, ni tristesse, seulement de l'ambition.
Page 145
- Non, l'assassinat du Gallois confirme l'existence d'un complice, ou peut-être d'une main qui contrôle tout. Il faudrait d'ailleurs que ce soit quelqu'un d'étranger au cercle des étudiants et qui ait une raison plus importante de tuer l'évêque qu'une simple moquerie à l'égard d'un mendiant ébouillanté. Cela devient une affaire de plus grande ampleur et qui concerne le pouvoir et la succession du pape...
Livre / "Saint-Germain ou la négociation" de Francis Walder
SAINT-GERMAIN ou la NEGOCIATION
de Francis Walder
Editions Gallimard – 1958
Collection Folio 1992-2010
186 pages
D’abord, il y a le fait historique : lors de l’été 1570, eurent lieu des négociations secrètes entre les représentants de Catherine de Médicis et ceux des huguenots (protestants) pour trouver une solution aux guerres de religion qui faisaient rage en France.
Ces négociations eurent lieu au Château de Saint-Germain-en-Laye, à côté de Paris. Le pouvoir catholique était représenté par Monsieur Henri de Malassise, diplomate chevronné, et le maréchal de Biron, baron et militaire. Les Huguenots avaient envoyé messieurs de Mélynes et d’Ublé.
Château de Saint-Germain-en-Laye
L’objectif était de trouver un accord sur un nombre limité de villes à laisser au pouvoir protestant afin d’apaiser le conflit en cours.
C’est sur cet évènement réel de l’histoire de France que Francis Walder a construit en 1958 une trame romanesque, très proche de la réalité de ces négociations secrètes, pour mettre en évidence les finesse et les roueries, les feintes, les faux renoncements, les pièges tendus, bref toutes les astuces des délégués présents dans le but d’obtenir le maximum pour les uns, le minimum pour les autres.
Page après page, le lecteur découvre un monde paradoxal où, derrière des choix ou des manœuvres se joue la vie de milliers de personnes. Ça ressemble à un grand poker menteur où les choses ne se dévoilent qu’au détour d’un mot ou d’une phrase a priori sans importance, et surtout dans les moments où les négociateurs ne sont pas en train de négocier, par exemple lors d’une conversation privée au jardin quand les deux interlocuteurs doivent deviner derrière des phrases ambigües ou des silences évocateurs.
Charles IX, roi de France
Francis Walder dresse en fait un tableau de ce qu'est n’importe quelle négociation d’état, même au XXème siècle, même au XXIème. Rien ne se décide d’emblée, rien ne se dit avec franchise. On fait semblant de ménager pour mieux harponner ensuite. On fait semblant de perdre pour mieux gagner. On signifie de fausses lignes rouges à ne pas dépasser en sachant que ce ne sont pas des lignes rouges. Ce que l’autre croit avoir gagné à force de sueur, d’abnégation et de patience, en fait, il l’aurait de toute façon obtenu. C’est une affaire de postures et d‘images, de manipulation, pour montrer qu’aucun ne repart les poches vides.
Ce texte qui a reçu le prix Goncourt en 1958 nous offre un portrait de négociateur par un récit haletant où les passions d’une époque surgissent au fil de mots parfois anodins et de crispations d’individus qui s’interrogent sur leur pouvoir.
En faisant de Monsieur de Malassises le narrateur de cette histoire, le lecteur entre dans ces journées au Château de Saint-Germain comme s’il était lui-même un négociateur. Ainsi, il peut vibrer et ressentir chaque instant au rythme des soubresauts du quotidien de ces journées particulières.
Il s’agit donc d’un roman à mettre dans toutes les mains de personnes qui sont amenées à négocier, y compris dans les milieux socioprofessionnels, car il pose les questions de base des compromis nécessaires. Un texte de haute volée à lire aussi pour ceux qui ne négocieront jamais mais qui ont envie de lire un texte haletant.
Château de Saint-Germain-en-Laye
Compléments Wikipédia sur la Paix de Saint-Germain
Le traité de paix de Saint-Germain-en-Laye le 8 août 1570 met fin à la troisième des guerres de religion.
Après une troisième guerre entre catholiques et protestants de 1568 à 1570, qui voit la défaite des protestants à Jarnac, l’assassinat de leur chef, le prince de Condé, en 1569 et la nomination d’Henri de Bourbon (futur Henri IV) comme chef des protestants, la paix de Saint-Germain, signée entre le roi Charles IX et l’amiral Gaspard de Coligny accorde aux protestants une liberté limitée de pratiquer leur culte dans les lieux où ils le pratiquaient auparavant ainsi que dans les faubourgs de 24 villes (2 par gouvernement). Il octroie aux protestants quatre places fortes de sûreté La Rochelle, Cognac, Montauban et La Charité pour deux ans aux mains des protestants. À l'issue de ces deux ans, elles doivent être rendues mais le culte de la religion réformée continue d'y être autorisé. Le culte est par ailleurs interdit à Paris. L'édit appelle à la tolérance en indiquant qu'aucune différence ne peut être faite pour cause de religion.
De plus, les protestants sont admis aux fonctions publiques et Catherine de Médicis, mère de Charles IX, donne en mariage sa fille Marguerite de Valois à Henri de Navarre. Le traité de paix est signé le 8 août 1570 au château royal de Saint-Germain-en-Laye et enregistré au Parlement le 11 août 1570. Ce traité servira de modèle pour tous les traités suivants jusqu'à l'édit de Nantes. Moins contraignant que les précédents, il est rapidement enregistré par le Parlement. Dans l’esprit du Parlement comme du jeune roi, le souci de l’ordre public prime sur celui de la réunion religieuse : « je penseray avoir beaucoup faict de réduire par ce moyen mesd. subjectz à l’obéissance qu’ils me doibvent ; qui est ung commencement pour après peu à peu les ramener, comme mes aultres subjectz, à la religion catholicque1 ».
Les tensions restent vives cependant, comme l’attestent des incidents survenus à Orange, à Rouen ou à Paris, en 1571. La paix est de courte durée puisque deux ans plus tard a lieu le massacre de la Saint-Barthélemy qui y met un terme. La paix de Saint-Germain fut appelée « boiteuse et mal assise », par allusion aux deux négociateurs qui représentaient la Cour : Gontaut-Biron, boiteux, et Henri de Mesmes, seigneur de Malassise2.
Jean Rochefort dans le rôle de Henri de Mesmes - version cinéma
Extraits
Pages 25-26
C'est ainsi que pour lui arracher une décison, il ne fallait pas lui en démontrer l'urgence, mais la conduire à l'apercevoir d'elle-même, de façon qu'elle en prescrive l'exécution comme venantde son propre cru.
Page 30
Il est vain, conclut-elle en se levant, de fonder sa politique sur une intransigeance de fait. la rigueur doit viser des principes, non des mesures.
Page 40
Chacun ayant donné ce qu'il était d'avance résigné à perdre, refusé ce qu'il avait pour mission de n'accepter à aucun prix, le problème flottant et marginal se pose, des attributions indécises qu'il s'agira de partager.
Page 79
L'entretien en était venu à un point où il aurait fallu, pour continuer, passer de l'allusion voilée à la précision crue - ce qui déplaît au tempérament diplomatique.
Page 90
Est-il normal qu'un être humain porte sur ses épaules cinq cent millions de livres minérales ? peut-il respirer s'il tient sur sa poitrine cent mille destinées humaines.
Page 110
Une longue expérience m'avait enseigné que dans tout débat, un avantage considérable enlevé par l'une des parties ne lui reste jamais.
Page 130
Mais ce peu, chacun de nous parvenu à la limite des concessions, veut que ce soit l'autre qui le donne. de sorte qu'un objet infime, qui en réalité n'importe à personne, tient la paix en suspens.
Page 168
"Laisser venir l'autre" ne réussit que si l'autre veut bien "venir". Il en va de même de la "résistance inflexible", car si tous deux résistent, on n'aboutit nulle part.
Page 180
la vérité n'est pas le contraire du mensonge, trahir n'est pas le contraire de servir...
"Saint-Germain ou la négociation" - un film de Gérard Corbiau
Livre / "Dieu est un pote à moi" de Cyril Massarotto
DIEU EST UN POTE A MOI
de Cyril Massarotto
XO éditions – 2008
Editions France Loisirs - 2013
244 pages
Dans le cadre de notre rubrique "conseil de lecture - adultes", voici un livre à ne pas manquer.
Présenter "Dieu est un pote à moi" sur le blog d'un école primaire laïque pourrait a priori paraître incongru. Pourtant, derrière ce titre et derrière l'argument de base de cette histoire, se cache tout autre chose.
Les adjectifs pour qualifier ce roman ne manquent pas : magnifique, bouleversant, drôle, émouvant, spirituel (au sens propre et au sens figuré), philosophique, surprenant, libre (dans le ton et la pensée), irrévérencieux,… bref un roman formidable.
Déjà, l’idée de base séduit et donne envie de poursuivre la lecture : un jour, un jeune vendeur presque blasé, travaillant dans une petite boutique nocturne, voit un type nommé Dieu, et que lui seul peut voir et côtoyer, venir à sa rencontre pour le choisir et devenir son confident, puis établir ainsi avec lui un dialogue régulier tout au long de sa vie. Dieu devient quasiment son ami, un compagnon de vie complètement différent de ce que tout un chacun imagine de Dieu. Celui-ci est questionneur et farceur, voire provocant, utilise un langage commun voire parfois peu châtié. D’où l’idée que « Dieu est un pote à moi ». Cette situation hors du commun donne lieu à des moments très cocasses où il est difficile de ne pas lâcher un éclat de rire, même quand on est seul chez soi.
Et ainsi nous voilà partis dans la vie de notre narrateur depuis sa rencontre avec Dieu jusqu’au moment final du roman dont on ne parlera pas ici pour maintenir l’intérêt de cette fin originale et très forte, émotionnellement parlant.
On se croirait parfois dans un de ces films italiens des années 70-80 où la drôlerie et le rire éclatent sur un fil étroit qui les relient directement au drame et à l’émotion pure. La légèreté s’y accouple avec les grandes questions existentielles sur la vie. Et, l’air de rien, sans presque s’en rendre compte, chacun peut croiser un peu de ses propres questionnements sur le sens de son existence.
On pense lire (et écouter) un narrateur en train de raconter sa vie et son dialogue très spécial avec un type appelé Dieu, le tout d’une humeur badine, presque détachée, et d’un coup, on tombe sur un petit (ou un grand) quelque chose de soi, sur une interrogation, sur une de nos questions sans réponse.
Le style littéraire de Cyril Massarotto accroche très vite le lecteur, comme si celui-ci était spectateur d’une vie qui n’est pas la sienne, mais qui lui ressemble étonnamment, et donc peut s’y intéresser.
Derrière l’argument de la vie d’un type ordinaire, tout y passe : l’amour bien sûr, le couple, les enfants, le travail, la mort, le bonheur, l’éducation,…
Il ne s’agit absolument pas d’un traité de sciences humaines, mais certains aspects du roman peuvent en apprendre autant, dans un récit qu’il est difficile de lâcher à partir du moment où on y a posé les yeux. Au-delà de la croyance en un dieu ou pas, ce n'est pas la question du roman. Le sujet est l'humain et ce qu'il fait de sa vie, ses choix et ses non-choix, ses décisions et ses doutes, le tout sur un ton faussement léger, souvent drôle voire hilarant, puis d'un coup sombre et envoûtant.
Une superbe réussite littéraire.
Cyril Massarotto
Extraits
Page 13
- Alors voici deux autres choses de plus à retenir pour toi : Savoir numéro Deux, il n’y a q’un Dieu, c’est moi. Savoir numéro Trois, tout ce qui a trait aux Hommes, c’est moi, donc je peux tout me permettre. L’humour, c’est moi, la poésie, c’est moi, la vulgarité aussi c’est moi, la littérature c’est moi, la musique c’est moi, l’humour c’est moi…
- La modestie, c’est quelqu’un d’autre apparemment…
Page 22
Plus jeune, il n’aimait pas les études, alors il a voulu s’engager dans l’armée, je ne vois pas trop la logique, mais bon…
Page 25
(…) un mec seul, plus de famille, pas vraiment d’amis, qui plaît aux filles mais qui n’a jamais su en garder une, un mec qui ne sert à rien finalement.
Page 33
(…) Si la première fois qu’on s’est vus j’avais sonné à la porte habillé en monsieur tout-le-monde, tu aurais eu du mal à croire que j’étais Dieu, non ? Alors j’ai utilisé les nuages, la grande barbe blanche et tout le toutim. Et l’éclair pour faire classe.
Page 37
J’ai horreur des rêves, bons ou mauvais. Un rêve, c’est de la vie qu’on nous vole. On ne peut rien contrôler, on ne comprend jamais ce qui se passe, et après on se pose des questions pendant des heures. Ça peut même vous gâcher la journée.
Page 61
(…) Le destin est un terme qui n’existe que parce que les Hommes croient. Vous vous êtes rencontrés donc c’était votre destin, et non pas parce que c’était votre destin (…) Pour faire court, le destin est un synonyme du mot « réalité ». Dire « C’était mon destin » revient à dire « ça m’est arrivé », tout le reste n’est que croyance ou superstition, c’est la même chose.
Page 85
Je crois que tous les somnifères que l’on avale lorsqu’on est adulte, ce sont toutes les berceuses que l’on ne nous a pas chantées quand on était enfant.
Page 92
Tu imagines si je ressentais comme toi le temps qui passe ? Je deviendrais fou, puisque je suis potentiellement éternel.
Page 106
Ce que je veux te faire comprendre, c’est qu’il faut vivre juste, prendre les choses comme elles viennent. Le bonheur n’est pas un projet. Sois-en bien conscient. Vis, et ne t’encombre pas l’esprit de questions inutiles.
Page 142
Autre aberration : ce que les gens prennent pour du courage, c’est juste ne pas avoir le choix.
Page 191
Peut-être que le plus important n’est pas l’amour, mais la personne qui nous apprend à aimer.
Cyril Massarotto
Livre / "Des tramways et des hommes" de Philippe Maupetit et Patrice Bouillot
DES TRAMWAYS ET DES HOMMES
de Philippe Maupetit (Photographe)
Textes de Patrice Bouillot
Editions Dominique Guéniot
Août 2012 / 179 pages
Enfin ! Dijon a retrouvé ses axes de circulation sans travaux ! Parfois, certains se demandaient même si ça finirait un jour et surtout, malgré les images issues des ordinateurs et placardées sur les murs de la ville, à quoi ressemblerait, en vrai, la capitale bourguignonne quand tout cela serait terminé.
A présent le tram est là pour de bon, de Quetigny à la gare de Dijon, de Chenôve à la Toison d'Or. Après 51 ans d'absence (il faut rappeler que la ville a eu son tramway tout au long du XXème siècle jusqu'en 1961), la population de l'agglomération peut circuler en tram, transport collectif écologique et presque silencieux.
Tous ceux qui vivent à Dijon depuis plus de deux ans se souviennent des barrières cassis et blanches qui protégeaient du grand chantier urbain. Mais surtout ils se rappellent les difficultés de circulation. Il faut quand même rappeler le célèbre proverbe : "On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs". La formule a parfaitement correspondu aux besoins de transformations de la ville. On a vu des machines roulantes, des rues sans dessus dessous, des gilets fluo oranges, des gravas et des trous, des voies ferrées apparaître partout du nord au sud, d'est en ouest. On a vu des stations fleurir sur les boulevards avec leurs bancs et les futurs écrans d'information aux voyageurs. On a deviné petit à petit le nouveau décor de la cité...
On a peut-être oublié ou même peut-être pas vraiment fait attention qu'il y avait des humains sous les gilets fluo, sur les machines, dans les nacelles, dans les rues, par tous les temps.
Philippe Maupetit, photographe et Patrice Bouillot, journaliste, sont allés à leur rencontre. Ils ont laissé libre cours à leur humeur voyageuse pendant ces deux années de travaux.
Philippe Maupetit s'est souvenu de cette phrase de Robert Capa, le célèbre reporter :" Si ta photo n'est pas bonne, c'est que tu n'étais pas assez près." Alors, ils se sont approchés "sans agresser" les hommes et femmes qui travaillaient sur cet immense chantier.
Il se résulte un livre magnifique "Des tramways et des hommes" (titre qui paraphrase le roman sublime de John Steinbeck "Des souris et des hommes") qui retrace l'épopée du tramway dijonnais du XXIème siècle.
On y trouve des centaines de photos mises en page dans une chronologie de la construction du tram à Dijon. Les auteurs montrent dans cet ouvrage l'humanité derrière la technique, les petites choses qui font un grand tout. Certains clichés décalés amènent aussi au sourire. Tout y passe : les rues qui se transforment, la pose des rails et des câbles, les rames de tram qui débarquent, leur transport vers les voies de circulation, les hommes et... les femmes sur le chantier, la vie des gens à Dijon pendant les travaux...
Ce livre a le grand mérite de rappeler qu'un réseau de tramway ne naît pas d'une baguette magique. Il restera sans doute comme une mémoire d'une agglomération en devenir et qui rentre dans le XXIème siècle en phase avec l'air du temps.
Voic donc un beau livre à offrir ou à s'offrir et qu'on ressortira de temps à autre comme un retour à la source, d'autant plus qu'en introduction, on retrouve le tramway d'antan en quelques photos et quelques paragraphes.
Quelques photos de Philippe Maupetit issues du livre
Des hommes dessus et dessous
Plongeon insolite dans la bétonnière
La vie continue malgré les travaux
Nouvelle perspective du boulevard Clémenceau
Lien direct vers l'album-photos sur le tram dijonnais (3 pages d'images) :
Tram dijonnais d'aujourd'hui et d'hier
LE TRAM EN VIDEO
Class'Tram n°1
Class' Tram n°2
Class'Tram n°3
Class' Tram n°4 : La construction du Tram en vidéo
Class'Tram n°5
Class'Tram n°6
Toute la ville en Tram... c'était samedi 1er et Dimanche 2 septembre 2012 à Dijon.
Class'Tram n°7
Le tramway autrefois - Dijon Années 60