Livre / "La Croisade de Falconer" de Ian Morson
La Croisade de Falconer
de Ian Morson
Titre original : « Falconer’s crusade » (1994)
Traduit de l’anglais par Christophe Valia-Kollery
Editions Librairie des Champs-Elysées – Hachette – 1998
Voilà un livre formidable. Un polar médiéval passionnant qui nous fait entrer dans un XIIIème siècle complexe et conflictuel.
Nous sommes en 1264. Le prélat Henry Ely propose à Thomas Symon, un jeune paysan doué en grammaire, d’aller suivre les cours du regent master William Falconer à l’université d’Oxford.
Malheureusement pour Thomas, son arrivée de jour est retardée par divers aléas. Finalement, il débarque à Oxford dans la nuit et, comble de la malchance, il est le témoin numéro un du meurtre d’une jeune femme. L’assassin ayant disparu, il est même considéré comme le meurtrier.
Réussissant à échapper à ses poursuivants, il retrouve enfin le regent master Falconer qui tentera tout pour prouver l’innocence de Thomas et trouver le vrai coupable.
Derrière cette intrigue somme toute assez courante dans le polar, se cache un univers historique d’une richesse exceptionnelle. Car l’assassinat de la jeune femme n’est pas anodin.
Pour comprendre cette mort comme d’autres qui vont suivre, il faudra au lecteur se plonger dans la réalité du conflit de la ville d’Oxford au Moyen-âge entre sa population et son université pas toujours bien comprise, dans les mesquineries entre regent master (professeurs d’université) sur fond de pouvoir et d’espoir de promotion dans la hiérarchie royale, dans le combat du roi d’Angleterre pour affirmer son pouvoir face aux barons. Il faudra au lecteur se confronter aux luttes et à l’incompréhension entre les religions (chrétienté, protestantisme et catharisme, judaïsme). Il sera nécessaire d’accéder aux connaissances scientifiques notamment en provenance du monde arabe, en particulier en rapport à la médecine.
Rien n’est simple, encore plus quand la révolte gronde dans la ville et que ces meurtres pourraient être à l’origine d’un massacre à plus grande échelle.
A travers l’histoire de Thomas Symon, nous parcourons le monde médiéval du XIIIème siècle en Angleterre, en France, en Italie. Et, parce qu’il s’agit d’un polar historique, on peut plonger, sans hésiter et avec délectation, dans ces mystères qui pourraient être vite déplaisants s’ils étaient traités avec une érudition élististe. Ici l'érudition est le fil conducteur de la résolution de l’énigme, la nécessité pour comprendre les forces qui agissent en secret. Les clés du savoir sont les clés de la résolution des meurtres.
Ce roman de Ian Morson est d’une richesse exceptionnelle. Un regard sans concession sur les luttes de pouvoir au Moyen-âge. D’ailleurs, de ce point de vue-là, peu de choses ont changé au XXIème. Les petits intérêts, les gros profits, la dénonciation calomnieuse, l'appétit de pouvoir, les compromissions douteuses sont toujours là.
Lire « La Croisade de Falconer » nous en apprend autant sur le Moyen-âge que sur le monde d’aujourd’hui. Changez les noms, les villes, les pays et vous obtiendrez une « recette » de la même saveur.
Le livre date de 1994 dans sa version d’origine, de 1998 dans sa version française. Il est donc relativement ancien en rapport à la production littéraire. N’empêche, cela vaut le coup d’aller replonger dans cet univers.
Extraits
Page 27
Aujourd'hui, Falconer est regent master à l'université d'Oxford et Ely est un prélat de campagne. Mais ce dernier avait le don de dénicher des jeunes gens ayant fait des débuts prometteurs dans l'apprentissage de la grammaire ; et il les envoyait à Falconer pour qu'ils se mesurent aux disciplines composant le trivium et le quadrivium. Les septs arts libéraux de jadis demeuraient le fondement du savoir. Les trois premiers - la grammaire, la rhétorique et la logique - formaient la base de l'apprentissage des quatre arts majeurs - la musique, l'arithmétique, la géométrie et l'astronomie. Il fallait sept années d'études avant d'espérer pouvoir accéder au grade de master. Et la science suprême, la théologie, en exigeait encore sept autres. (...)
Page 29
Homme étrange en vérité. Sur l'un des murs se trouvait une étagère couvertes de livres. Jamais Thomas n'avait rencontré quiconque en possédant autant. Et d'autres ouvrages étaient posés sur la table de bois qui trônait au milieu de la pièce. La lumière du matin filtrait à travers les vitres dépolies d'une fenêtre située à droite de la cheminée. Un rayon de soleil faisait scintiller des grains de poussière autour de la table, où des ossements s'entassaient pêle-mêle avec quelques plantes depuis longtemps desséchées. Dans le coin le plus éloigné du lit, une chouette imperturbable l'observait sans ciller, perchée sur un bâton grossièrement taillé que l'on avait planté à l'angle de deux murs. Juste en dessous d'elle, des pots de terre étaient posés en rang sur le sol. Thomas se souvint aussitôt que sa mère lui avait recommandé la méfiance à l'égard des alchimistes qui cherchaient sans cesse des cadavres frais pour leurs expériences. Il frissonna.
- Quand tu auras terminé l'inventiare de ma chambre, je te présenterai Hught Pett. (...)
Page 37
(...) Les quartiers de viande à l'étal du boucher amenaient celui (un étudiant) que son collègue avait chargé de l'approvisionnement à se demander ce qu'il pouvait s'offrir avec son argent de poche, pour calmer sa faim sans délai. Et chez le savetier, l'odeur du cuir se mêlait à celles de la bière et du vin. La population de la ville, bien que plus nombreuse que les étudiants, cohabitait avec l'université dans un état de trève précaire. (...)
Pages 51-52
Pataugeant dans la boue, il courut jusqu'au bout de l'étroite ruelle qui se divisait en deux. Tout en essayant de retrouver son sang-froid, il tendit l'oreille. des éclats de voix rageurs lui parvenaient des deux côtés. Il ne lui restait plus qu'à rebrousser chemin pour fuir dans le dédale où il s'était perdu en venant.
Contraint de reprendre son souffle, il s'appuya contre le bois noueux d'une porte. Celle-ci s'ouvrit sous son poids et il trébucha en avant. Il reprit son équilibre et regarda devant lui, s'attendant au pire. Mais il était seul dans un corridor lugubre - il ne devait qu'au hasard d'un verrou mal refermé d'avoir pu y entrer.
Il allait tourner ses talons par le même chemin, mais il se ravisa entendant les voix menaçantes, à présent toutes proches, qui s'interpellaient. Il claqua la porte, prit soin de bien la verrouiller et s'adossa contre elle, rassuré de la sentir si solide. Cela ne rendit que plus terrifiante la vision qu'il eut en rouvrant les yeux. (...)
Page 63
Nombreux étaient ceux qui nourrissaient de la crainte et de la haine vis-à-vis des juifs, mais Falconer avait conçu dés sa jeunesse, loin d'Angleterre, une grande admiration pour l'érudition de ce peuple ; cela lui avait permis de surmonter ses préjugés. C'était d'ailleurs le vieux rabbin Jehozadok qui l'avait autorisé à emprunter deux exemplaires fort rares de grands livres de l'Arabe Avicenne, le Qanun et le Shifa. Falconer tenait ce dernier ouvrage en très haute estime pour son interprétation des idées d'Aristote.
Page 83
Thomas était enfin de nouveau en route vers le quartier juif. Il lui avait fallu longtemps pour faire croire à Hugh Pett qu'il dormait. Mais son gardien avait fini par quitter la chambre et Thomas en avait profité pour se hisser par la fenêtre. (...)
Page 161
(...)
- Vous autres , jeunes gens, vous prenez pour le centre du monde et de tout ce qui s'y produit. En fait, nous ne sommes qu'un grain de sable aux yeux de Dieu. (...)
Dans cette série où le personnage principal est William Falconer, vous pouvez aussi lire
LE JUGEMENT DE FALCONER
Un polar médiéval tout aussi passionnant se déroulant au moment de la mort du pape Alexandre au XIIIème siècle.
Pas de bienveillance religieuse mais un véritable conflit violent pour obtenir le poste suprême à la tête de l'église.
La guerre de succession fait rage, chacun des postulants au trône du Vatican cherchant des appuis politiques et financiers auprès des rois et des puissants européens. Bien évidemment, cela conduit à des assassinats et des morts inexpliquées que la raison aristotélicienne de William Falconer permettra peut-être d'y mettre un sens, au risque de sa vie et de celles de ses compagnons de route.
Le récit de fiction intègre de véritables données historiques, met en scène les rapports entre tenants des différentes religions, donne des précisions très fines sur la vie à cette époque, ce qui donne une densité considérable au roman.
Un livre à ne pas rater
Extraits
Page 9
Un lourd parfum d'encens planait dans la chambre comme un brouillard malsain au-dessus du Tibre. Le corps qui reposait sur le lit était paré de riches vêtements, et les mains jointes sur la poitrine se serraient en une silencieuse prière. L'homme au visage de marbre, ainsi étendu, semblait déjà métamorphosé en statue immobile et glacée, identique à celle qui se trouverait bientôt au-dessus de son tombeau, rendant inutile l'intervention des tailleurs de pierre.
Page 39
Frère John s'était débrouillé pour que ses appartements se situent près de la salle de travail de l'abbaye, qui se trouvait en haut sur la façade sud. L'emplacement avait été choisi afin que les frères occupés à copier les manuscrits puissent travailler jusqu'à ce que le soleil soit presque en dessous de l'horizon. De l'aube au crépuscule, les grandes fenêtres en arche recueillaientla lumière naturelleet permettaient aux copistes de bien utiliser leur longue journée de travail.
Page 74
L'évêque Otho était un homme puissant à double titre : nommé par le pape, on disait qu'il bénéficiait aussi des faveurs du roi. Certains membres du groupe n'aimaient pas faire appel à un étranger, mais en cas de besoin, chacun devait ravaler sa fierté.
Page 96
Il préférait s'asseoir au milieu de ses étudiantssur els bancs étroits ou aropenter les allées en lançant des questions à la cantonade. Il traitait de son sujet favori.
- L'étude des sciences naturelles, zoologie, botanique et alchimie nous apprend que ce n'est pas par l'observation exacte que nous parvenons à la vérité. D'après Abelard, une doctrine ne saurait être suivie uniquement parce c'est la parole de Dieu, mais parce que nous sommes convaincus par la raison.
Un frisson d'excitation parcourut l'assembléeà l'énonce de cette affirmation visblement hérétique...
Page 106
Tout en reprenant en sens inverse l'interminable couloir, Falconer ne put s'empêcher de songer à l'expression du visage de l'évêque à l'annonce de la mort du pape. Il n'exprimait ni horreur, ni tristesse, seulement de l'ambition.
Page 145
- Non, l'assassinat du Gallois confirme l'existence d'un complice, ou peut-être d'une main qui contrôle tout. Il faudrait d'ailleurs que ce soit quelqu'un d'étranger au cercle des étudiants et qui ait une raison plus importante de tuer l'évêque qu'une simple moquerie à l'égard d'un mendiant ébouillanté. Cela devient une affaire de plus grande ampleur et qui concerne le pouvoir et la succession du pape...
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