Projet Rameau - Janvier 2015 - Analyse pédagogique
Soirée Jean-Philippe Rameau
Salle Mendès-France – Quetigny – Samedi 31 janvier 2015
Analyse pédagogique du projet
pour la participation des enfants de l’école des Cèdres.
1/ Objectif de la participation des enfants de l’école des Cèdres
L’objectif était de prendre part à un grand projet musical autour du 250ème anniversaire de la mort de Jean-Philippe Rameau, occasion pour découvrir, faire découvrir ou redécouvrir l’œuvre d’un musicien majeur dans la culture française du XVIIIème siècle. Ce projet incluait des adultes musiciens, des jeunes des écoles de musique de Quetigny et Chevigny-Saint-Sauveur et les enfants des écoles pour la danse, donc un projet intergénérationnel dans lequel chaque groupe intervenant avait la responsabilité d’une partie du spectacle. Il s’agissait d’un engagement important, d’autant plus que le nombre de spectateurs était conséquent. Pour les enfants, cela offrait la possibilité de s’inclure dans une organisation de grande ampleur dans laquelle chacun devait, par sa présence à parité, être respecté par tous et en même temps respecter chaque partenaire particpant à cette soirée, organisateurs, musiciens, chef d'orchestre, choristes, chef de choeur, metteur en scène, narratrices, danseurs, encadrants des différents groupes, etc... Cela signifiait, pour les élèves, de la tenue, une présence et une rigueur nécessaire quant à son rôle aux différents moments de la soirée.
C’était une occasion de vivre l’école en dehors de ses murs et en dehors des horaires habituels, apportant ainsi une dimension supplémentaire au travail de classe.
2/ Le travail effectué
La participation des enfants concernait la danse, une pavane célèbre de Jean-Philippe Rameau : la Danse des Sauvages. Une danse style Renaissance qu’ils ont travaillée pendant deux mois avant le spectacle.
Enfants et enseignants ont eu droit à une initiation par Benoit Teinturier, professeur de danses anciennes, et Catherine Oudot, intervenante musique dans les écoles de Quetigny. Par des séances supplémentaires, les enseignants ont rapidement pris le relais pour compléter le savoir-faire des enfants en début d’acquisition. Outre le pas de pavane, ces derniers devaient aussi assurer la tenue majestueuse des danseurs, le rythme très réglé de la musique ainsi que des variations de côté et en arrière qui donnent plus de relief à la danse. Un lent travail d’imprégnation qui a pris corps semaine après semaine.
3/ Compétences développées pour ce projet
Pour réussir ce projet, les enfants ont dû acquérir ou confirmer plusieurs compétences essentielles. En premier lieu, il s’agit de compétences dans le domaine musical. Savoir écouter et suivre un rythme très précis qui correspond à des pas très précis. De plus, s’agissant d’une danse collective, il était important d’être en phase avec les autres danseurs pour mettre en valeur l’émotion de cette pavane. Pour des enfants n’ayant pas de facilité dans l’intégration des rythmes musicaux, cela relevait de la gageure. Cela s’apparente à une forme de mathématique de la musique avec des phrases qui se répètent, des notes appuyées qui donnent le tempo et qui permettent de retrouver rapidement le pas quand on l’a perdu.
C’est une intégration progressive du morceau comme des vagues qu’on sent dans sa tête en dansant sans qu’on n’ait plus à compter le nombre de pas. La danse devient alors un mouvement naturel qui facilite la tenue du corps, les épaules relevées, le regard droit devant soi. Nous touchons là à une autre compétence, la capacité à se transcender dans un moment particulier qui nécessite une autre façon d’être avec l’autre, une mobilisation de l’énergie sur un laps de temps plus ou moins court mais intense pendant lequel on ne lâche rien, pendant lequel on est complètement présent. Dans un monde où le zapping est monnaie courante, où beaucoup d'enfants ont des difficultés à se concentrer sur ce qu'ils font, d'autant plus quand cette attention est de longue durée, ce projet autour de la musique de Rameau prenait d'autant plus d'importance.
Cette approche réussie de la mobilisation de l’énergie peut être reproductible dans d’autres domaines comme les matières scolaires traditionnelles qui demandent elles aussi une capacité à être concentré sur un temps donné.
Du point de vue de la répétition « mathématique » des phrases musicales de la pavane, le travail chorégraphique aide les enfants dans la mise en ordre logique des pas de danse, une version artistique du travail d’ordonnancement de nombres ou de valeurs mathématiques. Le côté ludique de la danse facilite la structuration mentale de la chorégraphie. Ainsi, se forge une meilleure appropriation d’une logique mathématique pour la danse qui peut être transférable dans le domaine purement scolaire des mathématiques ou de l’analyse de la langue, en fait dans tous les usages de la pensée logique et structurée. D’autres expériences dans des écoles ont montré comment le chant (chorale entre autres) et la danse ont des effets positifs sur les résultats scolaires globaux des élèves parce qu'ils proposent aux enfants des cadres de pensée cohérents et organisés qui aident à une meilleure méthodologie du travail.
Toutes ces compétences touchent donc autant aux savoir-faire qu'aux savoir-être.
4/ Travail de citoyenneté autour de ce projet
Directement et indirectement, ce projet touche le domaine de la citoyenneté dans le sens où chaque enfant engagé dans la danse se retrouve comme un partenaire qui respecte les mêmes consignes que les autres pour que naisse la beauté de la chorégraphie. Agir en électron libre dans cette situation met en échec l’ensemble du projet car cela fixe l’attention sur la différence alors que l’émotion provient de l’unité collective. De plus, les duos qui forment les deux lignes de danseurs sont souvent mixtes, le garçon offrant sa main en support à celle de la fille. A un âge proche de la préadolescence où se marque davantage encore la différenciation des sexes, ce simple toucher des mains peut poser des difficultés à certains enfants. Dans le cas présent, il leur est demandé une parité garçon-fille à respecter scrupuleusement. Cela a donné l’occasion de discuter en classe de la place des filles et des garçons dans un projet de classe, dans la vie en général et du respect que chacun doit à l’autre, fille ou garçon. Tout cela en rappelant qu’ils sont simplement des enfants sans la projection de notions adultes qui perturbent l’idée du partage et du travail en commun dans un groupe d'élèves.
Le cadre scolaire permet de donner les conditions d’un échange dans lequel chacun a la garantie de pouvoir s’exprimer, d’être écouté et écouter les autres. La question du lien garçons-filles est essentielle car elle est à la base du futur lien social entre hommes et femmes. De différentes façons, par la danse ou le débat, par les projets communs ou des activités artistiques, l’école peut aider à reposer les bases de relations saines, apaisées et équilibrées entre femmes et hommes dans la société française laïque du XXIème siècle.
5/ Travail en décloisonnement
Pour ce projet, les classes de CE2 et de CM1-CM2 ont travaillé ensemble dans la salle polyvalente de l’école et, pour une séance, dans le gymnase des Huches (afin de retrouver la taille réelle de la scène de danse dans la salle Mendès-France où avait lieu le spectacle). Aucune différenciation d’âge n’a été faite quant à l’organisation du travail. Les groupes de pavane ont été composés en mêlant les deux classes même si la conduite des chaînes de danseurs a été confiée à deux duos de CM1-CM2 pour assurer une plus grande fluidité de la chorégraphie.
Ainsi, sur un temps de deux mois environ, les enfants ont pu s’approprier cette danse et être capables d’agir seuls sur scène pour danser sans guide adulte. D’un point de vue appartenance, les élèves étaient avant tout membres de l’école des Cèdres avant d’être représentants d’une classe d’âge. Ceci était d’autant plus vrai que l’enfant responsable du démarrage du salut après la danse était un élève de CE2. L’avantage de cette forme de travail apparaît aussi dans une référence quadruple aux adultes. Il ne s’agissait pas d’une classe avec son enseignante ou son enseignant comme unique référent, mais d’un groupe global pris en charge par quatre adultes référents à parité dans la prise en charge du groupe, surtout deux à plein temps, autant dans la responsabilité que dans l’engagement auprès des élèves.
6/ Mise en lien historique
Au-delà du travail chorégraphique, ce fut aussi pour les enfants la découverte d’un musicien que beaucoup ne connaissaient pas. Un musicien novateur en son temps dont les travaux ont fait avancer l’approche de la musique, notamment par des recherches avec des mathématiciens et des théoriciens du siècle des Lumières dont Diderot, Voltaire et Rousseau, même si ce dernier fut sa bête noire pour des raisons trop longues à expliquer ici.
Si maintenant elle semble collée aux traditions, sa musique a pu heurter les oreilles d’auditeurs du XVIIIème siècle. En constatant ce fait, on peut faire des comparaisons avec des musiques actuelles ou du siècle passé qui, comme Rameau en son temps, ont dû trouver leur place dans un univers musical pas forcément adapté à ces nouvelles approches musicales. Ce fut le cas de Debussy ou Bartok au début du XXème siècle, ou Arnold Schönberg et Edgar Varèse après la Seconde Guerre Mondiale.
Il est intéressant de faire le constat du renouvellement de la modernité en musique comme dans tous les arts ou dans la technologie, en replaçant l’œuvre d’un compositeur dans son contexte historique comme ce fut fait pour Rameau. Ce travail de mise en parallèle des situations historiques permet de regarder autrement son époque et de reconsidérer nos vérités du moment avec plus de relativité. Ce qui apparaît comme moderne aujourd'hui ne le sera sans doute pas demain. L'avancée de la société et des connaissances nous montre tous les jours que la vérité n'est pas universelle, que ce qui est aimé à un moment peut ne plus l'être ou, à l'inverse, ce qui n'est pas aimé au moment de son apparition peut l'être plus tard.
7/ La participation des parents
Ce projet a intégré directement et indirectement les parents. D’une part, ils ont véhiculé leurs enfants en dehors des horaires scolaires. Mais surtout des places leur étaient réservées pour le spectacle du samedi soir pour voir leur enfant danser bien sûr, mais aussi pour écouter les autres musiciens et les narratrices.
Certains des parents étaient même partie prenante du spectacle en tant que musicien, choriste ou narratrice.
En associant les familles au projet, l’équipe de travail a renforcé dans la tête des élèves l’importance de la danse et de ce qu’il a fallu accomplir pour mener à terme les répétitions. Savoir ses parents présents dans la salle de spectacle pour un enfant donne plus de poids à ce qui est fait.
Il est intéressant de noter à ce sujet comme il est essentiel de renforcer le triangle Enseignants – Enfants – Parents pour donner plus de puissance à un projet de création en milieu scolaire et pour permettre aux enfants de mesurer la valeur de ce qu’ils font, aussi pour favoriser la réussite scolaire.
8/ L’importance du concert
Le spectacle du samedi soir avait un rôle essentiel dans ce projet. Même s’il apparaissait comme la cerise sur le gâteau du point de vue de l’évolution du travail collectif, le vécu émotionnel des enfants lors du concert a agi comme un catalyseur qui a mis en lien tous les éléments du travail accompli depuis le début pour aboutir à cette présentation de la danse des Sauvages avec l’orchestre et les chœurs.
Sans doute, personne dans l’équipe, à part peut-être les intervenants musique, n’a pu mesurer à l’avance l’impact d’une telle soirée pour la plupart des enfants comme pour les enseignants. Les photographies prises lors de cette journée (répétition en salle, spectacle) témoignent de l’impression très forte laissée à ceux qui y ont participé.
9/ La place de ce travail dans la vie de l’école
Ce type de projet qui fait sortir les enfants de l’école est très important dans l’image dynamique de l’apprentissage. Il casse l’idée d’une éducation scolaire exclusivement située entre les quatre murs d’une classe. L’éducation et l’acquisition des connaissances se conjuguent avec la découverte du monde extérieur, dans des situations de rencontres avec des personnes détentrices d’un savoir particulier, situées en dehors de l’établissement, apparaissant parfois comme décalées de l'idée du savoir.
Si l’école reste le centre des apprentissages, elle laisse la porte ouverte à ces contacts extérieurs avec comme valeur supplémentaire l’idée que le monde extérieur n’est pas un lieu de danger mais une permission pour mieux connaître le monde et les autres, dans la confiance et l’envie de savoir davantage.
Si, dans le cas présent, cela prend la forme d’un spectacle de musique et de danse, cela peut aussi prendre la forme d’une journée au ski (comme ce fut le cas pour les élèves de CP-CE1-CE2), de sorties au musée (comme ce fut le cas pour les élèves de CP-CE1). Plus le monde se découvre, plus la confiance est de mise, plus on recule l’idée de la peur et de la violence. C’est l’enfermement sur soi, sur des valeurs personnelles qu’on estime non discutables, qui crée les conditions des sectarismes, de la brutalité et de l’inhumanité. Partir de l’idée que l’autre a quelque chose à nous apprendre, que l’autre a quelque chose à apprendre de nous, ouvre des possibilités et des perspectives immenses pour un savoir vivant et dynamique. Ce sont ces conditions d’ouverture au monde qui facilitent la tolérance et l’acceptation de la différence, l’idée que celle-ci est richesse et non un obstacle au lien entre les humains. Notre existence n'a de sens que dans le lien aux autres, dans ce que nous apprenons des gens qui nous entourent, autant dans des connaissances clairement définies que dans des expériences collectives, même douloureuses.
10/ Conclusion
Comme il l’est décrit plus haut, on peut constater la richesse d’un projet comme celui de la Danse des Sauvages dans tous ses apprentissages formels et informels. Les classes qui y ont participé ont gagné une dynamique interne plus forte car liée à des moments de vie réelle, à des connaissances apprises dans le lien aux autres et pas seulement dans une transmission à sens unique, de haut en bas.
L’art a cette puissance de créer des émotions qui génèrent des apprentissages plus ancrés car vécus avec beaucoup d’intensité.
Liens vers des articles sur le même thème :
Biographie de Jean-Philippe Rameau, compositeur français
Concert Danse Jean-Philippe Rameau - Dernières répétitions en salle avant le spectacle - 31-01-2015
Concert Jean-Philippe Rameau - Dernières répétitions à l'école avant le spectacle
250ème anniversaire de la mort de Jean-Philippe Rameau - Concert et danse à Quetigny
également une album-photos de ce projet des répétitions au spectacle (52 clichés) :
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