Livre / "La ballade de Sean Hopper" de Martine Pouchain
LA BALLADE DE SEAN HOPPER
de Martine Pouchain
Editions Sarbacane
2010 / 233 pages
Avant même de lire la première page, on est mis au parfum. Sur une double page, d'abord il est présenté la bande-son du roman avec Patty Smith "Horses", AC-DC "Highway to hell", the Doors "Riders on the storm" et Drums of Thunder "Mountain Spirits". Puis on peut lire cette petite phrase de Rainer Maria Rilke : "Toutes les choses terrifiantes ne sont peut-être que des choses sans secours qui attendent que nous les secourions".
Il est clair que la ballade de Sean Hopper sera ponctuée de terreur et de mort au rythme du heavy metal et de la révolte d'une Amérique des années 80, sur fond de légende indienne.
Effectivement, l'histoire que nous raconte le jeune Bud, huit ans, élevé par sa Grand-Ma, une vieille indienne cherokee, nous balade dans Springfield aux Etats-Unis du côté des abattoirs où on tue les veaux à la chaîne et du côté des plus pauvres dont fait partie le jeune narrateur. Ces laissés-pour-compte s'installent dans la vie avec le peu qu'ils possèdent et surtout ce regard aiguisé qui va toujours à l'essentiel quand on n'a pas les moyens d'autre chose.
Il est question essentiellement du voisin du petit Bud, un certain Sean Hopper, chargé du sale boulot aux abattoirs : tuer les bêtes avant qu'on les découpe. Un type dur qui n'aime pas les gosses, glacial et taciturne, alcoolique et bagarreur, craint de tous. Un type rempli de rage qui pourtant s'est laissé aimer d'une femme qui est tout son contraire, douce et attentionnée. Love to hell.
De plus le père de Sean Hopper, qui vit dans le cabanon attenant à leur maison, commence par être touché par la maladie d'Alzheimer. Il fait des fugues, vole chez l'épicier.
La tension monte à Springfield, d'autant plus que les autres personnages de ce roman, plus ou moins liés à Sean Hopper, ont aussi leur côté sombre, leurs bassesses et leurs lâchetés.
Martine Pouchain nous livre un roman fort, âcre, cru et pourtant plein d'humanité, cherchant derrière l'apparence répulsive, la vérité des êtres et leur quête vers un bonheur peut-être inaccessible.
En même temps nous apparaît cette Amérique qui se ferme les yeux sur cette misère sociale et morale, laissant le champ libre aux plus vils desseins.
L'expérience de l'abattage des veaux et les cauchemars récurrents de ces bovins revenant la nuit hanter les rêves de l'homme au pistolet ressemblent à s'y méprendre aux chiens de "Valse avec Bashir", ces chiens de villages palestiniens abattus la nuit par les soldats israëliens pour qu'ils n'aboient pas afin de conserver la surprise de l'attaque, et qui reviennent, bave à la gueule, dans le sommeil nocturne de soldats traumatisés.
Pourtant, même dans les plus sombres désespoirs, surgissent quelques lueurs ensoleillées qui laissent espérer encore et toujours. La mort peut ne pas vouloir de suite de certains individus que l'apparence et la vox populi condamnent.
Le petit Bud, avec son savoir extralucide et ses formules imagées, nous entraîne dans une aventure humaine hors du commun. C'est beau et émouvant. Et, au final, on en sort avec des raisons d'espérer encore.
Extraits
Page 9
Il faisait tout le temps la gueule comme s'il n'y avait plus de sourire en magasin quand sa mère l'avait fabriqué.
Page 17
On peut tuer quelqu'un avec un bâton en caoutchouc. ça prend juste un peu plus de temps.
Page 36
Il a fait comme si elle était un bocal à cornichons à sa place habituelle qu'il n'avait aucune raison de remarquer.
Page 40
Des lièvreteaux batifolaient sans se soucier. J'aurais bien aimé leur apprendre qu'il faut se méfier, principalement de l'humain qui est une race imprévisible dans son invention des moyens de nuire.
Page 50
Dés qu'il a entendu le moteur, le vieux a jeté un coup d'oeil par-dessus son épaule et il s'est un peu grouillé comme s'il avait le temps d'arriver quelque part.
Page 55
Il faut croire que l'amour lui donnait un sentiment d'immunité parlementaire en plus du désir de faire le bonheur de l'humanité.
Page 71
C'était une journée comme je les aimais, sans rien à mettre dedans, où la vie pouvait à chaque instant vous surprendre.
Page 76
Et le soleil m'a répondu, OK mon gars, je suis content pour toi. Et il m'est rentré à l'intérieur comme de l'or liquide. Partout.
Pages 90-91
J'ai zappé sur une série avec des rires enregistrés après chaque réplique, le genre qui prend le spectateur pour un veau.
Page 94
La réputation, ça vous colle aux pattes pire qu'un vieux chewing-gum.
Page 107
Je crois pouvoir affirmer qu'elle était dans les bas-fonds de son âme, à essayer de retrouver les morceaux perdus.
Page 116
D'ailleurs je n'écrirai jamais de livre. Il y a trop à vivre pour avoir en plus le temps de le raconter.
Page 127
Comme quoi le destin s'amuse à tricoter des coïncidences.
Page 149
Sean Hopper s'en fichait. Il prenait les ennuis dans l'ordre, l'un après l'autre, sans s'apesantir.
Page 171
Les gens n'aiment pas qu'on soit pas comme eux, ils se demandent à qui ils ont affaire, ça leur fout les jetons.
Page 189
Quand on est répertorié, quoi qu'on fasse, on est toujours passible de malentendu.
Page 193
Y a pas beaucoup d'imagination dans les dialogues d'hôpital.
Page 207
La violence, c'est l'amour qui ne trouve pas sa cible, me disait Grand'Ma.
Page 226
Elle l'aimait envers et contre tous, pour le pire, sans rien connaître du meilleur (...) A présent que tout était perdu, elle était sans peur.
Martine Pouchain
Springfield USA
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